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Christie’s: les blue(s) des milliardaires!

Les milliardaires qui «jouent» chez Christie’s et Sotheby’s en investissant des millions de dollars dans des diamants d’exception ont parfois le blue(s) et, plus rarement, voient la vie en rose (pink). Après avoir acquis le diamant le plus incolore, le plus pur, le plus gros, que leur reste-t-il? Le ciel est-il vraiment hors d’atteinte? Il est alors temps de mettre un peu de couleur dans leur vie, et quelques millions de plus sur la table…

Le 11 novembre, la maison de ventes Christie’s mettra aux enchères à Genève, un diamant bleu remarquable, connu sous le nom de «Mellon Blue», déjà passé sous le marteau de Sotheby’s à Genève en 2014. Ce diamant de 9,75 carats (à l’époque), de type IIb, classé «fancy vivid blue», soit la nuance la plus convoitée du spectre bleu, appartenait à la collection de la philanthrope Rachel «Bunny» Mellon, veuve du banquier Paul Mellon. En 2014, au décès de cette dernière à l’âge de 103 ans, il avait déjà fait sensation en atteignant le montant exceptionnel de 32,6 millions de dollars. Remis sur le marché onze ans plus tard, le «Mellon Blue» s’inscrit dans une tendance désormais bien établie: la course aux diamants de couleur, ces pierres qui ajoutent à la rareté, la fantaisie (fancy) de la couleur.

Ici en conversation avec le couturier français Hubert de Givenchy pour lequel elle avait totalement réorganisé les jardins de sa résidence privée. Givenchy et Cristobal Balenciaga furent ses amis et couturiers attitrés.

Qui était «Bunny»?

Surnommée la «Reine des Jardins» aux États-Unis, Bunny, ainsi que tout le monde l’appelait, était une horticultrice «chic». Sous la présidence de John F. Kennedy, en 1961, elle réorganisa la roseraie de la Maison Blanche, y plantant non seulement des roses, mais aussi de nouvelles espèces de plantes américaines. Passionnée et généreuse, elle mit également son savoir-faire au service de la France, aménageant les jardins de la maison de son ami le couturier Hubert de Givenchy, et participant, de ses propres mains et de ses ressources, à la restauration du Potager du Roi, au Château de Versailles.

Grand collectionneur de tableaux impressionnistes, de peintures, d’objets et de dessins sur le sport hippique, Paul Mellon a fait l’objet d’une exposition spéciale du «National Museum of Racing» intitulée «Les passions de Paul Mellon: chevaux, art et philanthropie» qui s’est terminée en mars 2025. Un bon résumé de la vie du second mari de Bunny.

Petite fille riche!

Son arrière-grand-père, Jordan Lambert, chimiste, fit fortune avec un célèbre bain de bouche antiseptique, la «Listerine», toujours commercialisé de nos jours, et vanté par le slogan: «Tuer les germes qui causent la mauvaise haleine». Bunny était la fille aînée de Gerard Barnes Lambert, qui, après des études d’architecture, rejoignit l’entreprise familiale. En 1923, il en devint président et multiplia les bénéfices par 60 grâce à sa propre agence de publicité. Il vendit ses parts en 1928, puis redressa la «Gillette Safety Razor Co.», notamment en développant la «Gillette Blue Blade», une lame célèbre pour son revêtement bleu, sa douceur et sa longévité.

En 1965, le modèle original de «Bird on the Rock» représentant un oiseau sur une grosse pierre facettée, créé initialement pour le diamant jaune «Tiffany», poids 128,54 carats, devient un bijou signature de la maison. Photo: Tiffany & Co.

Deux mariages et beaucoup de bijoux

Après avoir divorcé d’un journaliste américain, Bunny épousa Paul Mellon, banquier et héritier d’une immense fortune familiale accumulée aux XIXe et XXe siècles, issue de banques et d’investissements dans le pétrole, l’acier et le charbon. Paul était passionné de chevaux et collectionneur averti de tableaux impressionnistes, alors que sa femme préférait l’art contemporain et les bijoux des plus grands joailliers français et de LA signature américaine Tiffany & Co. Elle contribua largement à la notoriété de Jean Schlumberger, designer français à New York, qui marqua les années 1950-70 de Tiffany en créant des pièces iconiques, comme le fameux «Bird on the Rock».

À l’issue de la vente de 2014, le Mellon Blue est acquis par le magnat hongkongais Joseph Lau Luen-Hung, qui l’offre à sa fille cadette. Condamné à Macao pour corruption et blanchiment d’argent, l’homme d’affaires, une fois libéré, transfère sa fortune estimée à quelque treize milliards de dollars à sa nouvelle compagne.

Le «Mellon Blue» entre 2014 et 2025

La date exacte à laquelle Bunny Mellon acquit le diamant bleu reste inconnue, mais on sait qu’elle l’a possédé pendant plusieurs décennies. À son décès en 2014, la pierre était décrite dans le catalogue de Sotheby’s comme suit: 9,75ct, Fancy Vivid Blue, VVS2. Cette année, Christie’s a publié le certificat du GIA (Gemological Institute of America) daté du 6 septembre 2025, qui décrit la pierre ainsi: 9,51ct, Fancy Vivid Blue, VVS1. Montée désormais dans une bague, la pierre a donc subi un polissage ou léger refacettage, perdant 0,24 carat, mais gagnant un demi-grade de pureté, passant de VVS2 à VVS1. Aucune information officielle n’a filtré à ce sujet.

Vieille bouteille de «Listerine», bain de bouche antiseptique toujours très apprécié des Américains. C’est avec ce produit que l’arrière-grand-père de Bunny, Jordan Lambert, débuta une très importante fortune.

Le bijou est estimé entre vingt et trente millions de dollars et devrait figurer parmi les diamants bleus les plus onéreux jamais passés aux enchères. Peut-être changera-t-il encore de nom? Souvenez-vous: lorsqu’il fut acheté en 2014 par le magnat hongkongais Joseph Lau Luen-Hung, il fut rebaptisé «Zoé Blue», en l’honneur de sa fille aînée qui n’avait pas dix ans.

Catherine De Vincenti

Photo: Au décès de Bunny Mellon, le «Mellon Blue» était serti dans un pendentif. Pour la vente Christie’s prévue en novembre, la pierre sera sertie dans une bague ornée de diamants incolores. Photo: Christie’s

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