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Un écrin pour les bijoux de la Renaissance à Toulouse

Cette exposition sur les bijoux de la Renaissance, on l’attendait depuis… quarante-cinq ans! Près de deux générations se sont écoulées depuis que le Victoria and Albert Museum (V&A) de Londres a présenté, en 1980, des pièces exceptionnelles sous le titre «Princely Magnificence: Court Jewels of the Renaissance, 1500-1630». C’est pour célébrer dignement son trentième anniversaire et sa réouverture que la Fondation Bemberg, à Toulouse, reprend le fil de la narration sur les bijoux de la fin du XIVe siècle au tout début du XVIIe.

La Renaissance est une période mal comprise et mal située dans le temps. Elle est fréquemment confondue avec la fin du Moyen Âge, une époque sur laquelle on a dit et écrit beaucoup d’inexactitudes. On ne passe pas soudainement de l’ombre à la lumière en abordant le XVe siècle. Mais quand même… On ne s’imagine probablement pas toutes les révolutions que ce siècle va apporter. La chute de Constantinople, en 1453, a marqué un tournant dans le commerce mondial, entraînant le déclin relatif de Venise et l’ascension de Lisbonne comme nouveau centre du négoce. Les nouveaux maîtres ottomans ont perturbé les routes commerciales, terrestres et maritimes traditionnelles entre l’Europe et l’Asie. En prenant le contrôle des routes de la soie et des épices, ils ont rendu l’accès aux marchandises asiatiques plus difficile et coûteux pour les européens.

Le portrait de Sybille de Clèves par Lucas Cranach l’Ancien est un exemple remarquable de l’art de la Renaissance. Elle y est représentée avec des bijoux somptueux reflétant son statut et sa richesse. Lucas Cranach l’Ancien, portrait de Sybille de Clèves, vers 1535. Toulouse, Fondation Bemberg.

Trouver de nouvelles routes

La nécessité de contourner les territoires ottomans a poussé les Européens à chercher de nouvelles voies maritimes vers l’Asie. Les explorations portugaises ont permis la découverte d’un chemin direct vers l’Inde en contournant l’Afrique. La route du diamant, dont les uniques gisements connus étaient indiens, est ainsi ouverte. Lisbonne, située sur la côte atlantique, était idéalement placée pour devenir un «hub» pour les nouvelles routes maritimes. Les Portugais ont établi des comptoirs commerciaux le long des côtes africaines et asiatiques, et ont permis à Lisbonne de devenir un centre de redistribution des marchandises vers le reste de l’Europe.

Les pendentifs «cupidon» représentent les dernier feux de la Renaissance (1560-1610) et font la part belle au travail de l’or, aux émaux et aux formes exubérantes. Pendant en forme de Cupidon, Pays-Bas ou Allemagne vers 1590-1620, or émaillé, rubis, diamants, perles. Musée national de la Renaissance.

Dans l’atelier de l’orfèvre

Se doute-t-on que l’invention de l’imprimerie vers 1440 (Bible de Gutenberg 1455), va totalement chambouler le métier de l’orfèvre? Déjà, il faut bien se dire que nos divers métiers autour du bijou (bijoutier, joaillier, polisseur, sertisseur, lapidaire et j’en passe) n’existent pas encore. L’orfèvre est un homme à tout faire! Il réalise les objets en métal que ce soit pour des fonctions utilitaires (vaisselle simple ou sophistiquée), liturgiques (objets du culte), ou pour la parure. Sa corporation est puissante et prospère, ses artisans sont très spécialisés et travaillent avec des matières extrêmement précieuses. Les orfèvres font voyager leurs créations grâce aux peintres et à leurs tableaux qui circulent à travers l’Europe. On réalise également des modèles en plomb ou en bois qui passent d’un atelier à l’autre, diffusant ainsi les modes et les styles. Mais avec la gravure et l’avènement de l’imprimerie, les bijoux deviennent des motifs de catalogues qui se dispersent à travers le monde connu, ouvrant de nouvelles perspectives pour la diffusion des designs.

Les pommes de senteur souvent en forme de petite boîte ronde divisée en quartiers comme un agrume, étaient remplies de substances aromatiques telles que de la cire parfumée, de l’ambre gris ou du musc. Pomme de senteur, Allemagne, vers 1600, argent doré. Écouen, Musée national de la Renaissance.

La Renaissance de la parure

Le XVIe siècle est sans conteste celui de la parure, «un ensemble de bijoux ayant en commun des associations de pierres, de techniques et de motifs» (Sandrine Merle). Les bateaux portugais ramènent dans leur cales des quantités de pierres précieuses: émeraudes de Colombie, rubis et saphirs de Ceylan, lapis lazuli, turquoises, de l’or et de l’argent. Les perles, souvent baroques, arrivent du golfe Persique et deviennent le centre de bijoux représentant le corps d’animaux parfois bizarres ou grotesques, la coque d’un bateau, etc. Pierres précieuses et perles sont cousues et rebrodées sur de splendides vêtements. Porté sur soi et visible de tous, le bijou à la Renaissance est une sorte de miroir de son propriétaire.

Portées à la ceinture, les pommes de senteur servaient à diffuser des fragrances agréables, reflétant le goût de l’époque pour les accessoires à la fois pratiques et esthétiques. Les pommes de senteur étaient souvent richement décorées. Pomme de senteur, Allemagne, vers 1600, argent doré. Écouen, Musée national de la Renaissance.

Être et paraître

De nombreux bijoux symbolisent les unions familiales et politiques et sont offerts lors des fiançailles et des mariages, arborant des décors qui commémorent ces événements. C’est l’avènement de la bague de foi, dite «fede», représentant des mains jointes en foi, souvent émaillées; ainsi que des cœurs enflammés ou certains volatiles réputés pour la fidélité de leur couple, perroquets ou colombes. Plus étonnants, les nombreux bijoux portés à la ceinture dont certains servent également aux soins du corps comme les cure-dents ou les cure-oreilles mais aussi des pattes d’animaux, des petites bouteilles d’eau bénite ou encore les fameuses «pommes de senteur». Rondes et composées de quartiers, comme un agrume, ces dernières contiennent de la cire parfumée, de l’ambre gris, du musc ou d’autres substances aromatiques servant à se parfumer. Hommes et femmes les portaient indifféremment, et certaines étaient magnifiquement gravées et/ou décorées de pierres précieuses.

Les bagues de foi, également appelées «fede», étaient des bijoux populaires à la Renaissance, symbolisant l’amour et la fidélité. Bague foi, Paris, vers 1560-1600, or émaillé. Écouen, Musée national de la Renaissance.

La Renaissance Revival au XIXe siècle

À la période romantique, dès 1830, l’Europe entière redécouvre l’intérêt pour l’antique et l’âge d’or de la parure. Les collectionneurs se passionnent pour l’orfèvrerie, les émaux, les camées, les intailles, les bijoux, en un mot pour la mode du XVIe siècle! Cependant, peu de pièces ont traversé les siècles intactes; beaucoup de bijoux ont disparu, été transformés ou fondus. Néanmoins, pour  répondre à la demande, le marché va rapidement être inondé de faux ou de pastiches qui permettent aux joailliers du XIXe siècle de se mesurer aux maîtres de la Renaissance. C’est l’éclosion du style néo-Renaissance qui se développe à partir de 1830 et jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle. Le plus célèbre orfèvre de la période se nomme, en France, Désiré Froment-Meurice (1802-1855) qui fait la part belle à l’émail, à la figure humaine et à l’ornement.

L’exposition «D’or et d’éclat» à la Fondation Bemberg de Toulouse, ouvre une fenêtre fascinante sur l’art et l’artisanat de la Renaissance, révélant comment les bijoux de cette époque étaient bien plus que de simples ornements et ont reflété les bouleversements culturels et technologiques de leur temps.

Catherine De Vincenti

fondation-bemberg.fr

Photo: La légende de Diane et Actéon est tirée de la mythologie romaine et racontée, notamment, dans «Les Métamorphoses» d’Ovide. Diane et Actéon, Angleterre ou France (?), vers 1560-1580, or émaillé. Stamford, Lincolnshire, Burghley House. Photo: The Burghley House Collection

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