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Depuis quand parle-t-on de haute horlogerie?

Contrairement aux idées reçues, la haute horlogerie n’est pas une invention récente. Comme d’autres aspects de la culture horlogère, l’expression doit son existence au XVIIIe siècle.

Comme tout domaine spécialisé, le monde horloger possède son propre vocabulaire. Celui-ci comporte non seulement une large palette de termes techniques, mais également un répertoire de mots que la stratégie marketing des marques de luxe a rendus incontournables: excellence, savoir-faire, tradition, innovation, métiers d’art, etc. À ce glossaire appartient aussi l’expression «haute horlogerie», qui jouit d’un prestige certain depuis la création de la Fondation de la Haute Horlogerie (FHH) par les marques Audemars Piguet, Girard-Perregaux et par le groupe Richemont; fondée en 2005, la FHH fête en 2025 ses vingt ans d’existence.

Pour définir la «haute horlogerie», la FHH, qui promeut la culture et le patrimoine horlogers en mettant l’accent sur la montre de luxe, a édicté 28 critères, répartis en sept domaines. Ces aspects couvrent la montre dans son ensemble, en passant du style à la communication, de la formation à la maîtrise technique, ainsi qu’au design et à l’histoire.

À propos d’histoire, il est intéressant de constater que, malgré l’usage généralisé que l’on fait de la locution «haute horlogerie», beaucoup de confusion règne au sujet de son origine et de ses significations. Le Web tend en effet à nous dire que l’énoncé est né en réponse à la crise du quartz pour valoriser l’horlogerie de qualité. Plus récemment, un ouvrage consacré à l’histoire du Contrôle officiel suisse des chronomètres (COSC) a affirmé que la formule a surgi vers 1870-1880 pour caractériser la chronométrie et l’horlogerie de précision.

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L’origine du terme

Or, il s’agit de spéculations erronées. Une fois encore, c’est le XVIIIe siècle qui nous le prouve, car c’est bien à cette période que remontent la création en France de l’expression et son premier emploi attesté. Ainsi, on rencontre notamment l’expression haute horlogerie dans des projets pour des manufactures horlogères des années 1770-1780. Ces documents sont adressés à l’administration française dans le but d’obtenir de l’aide financière pour l’établissement de ces entreprises, qui s’inspirent du modèle de production de la montre genevoise, mais visent à lui faire concurrence. Dans ce contexte, la locution «haute horlogerie» vient alors donner du prestige à la montre française et souligner la qualité supérieure de ses pièces pour convaincre le pouvoir royal d’investir dans ces manufactures.

Au début du XIXe siècle, l’expression circule toujours. Toutefois, elle est réservée à une seule maison horlogère, celle d’Abraham-Louis Breguet, à laquelle on attribue les avancées majeures de la «haute horlogerie» de l’époque, conjuguant élément technique et raffinement esthétique. La haute horlogerie désigne désormais l’horlogerie de luxe. C’est en ce sens que les Genevois la récupère dans les années 1820 pour en faire une question de distinction. La haute horlogerie s’occupe de montres à complications et finement décorées: elle s’oppose par conséquent à l’horlogerie ordinaire. En 1826, l’École des blancs de la Société des arts, première école d’horlogerie de Genève, propose dès lors des cours de mathématiques destinés aux futurs artisans de la haute horlogerie.

La portée de la formule évolue une dizaine d’années plus tard, alors que vers 1832 le gouvernement français envisage l’ouverture d’une «École de la haute horlogerie» pour former des artisans d’exception spécialisés dans la précision. Si le projet ne voit pas le jour, à partir de ce moment, la haute horlogerie se réfère essentiellement à l’univers de la chronométrie (chronomètres, régulateurs, tourbillons, etc.) et à l’élite horlogère. L’adjectif «haute» intronise son excellence technique et son coût élevé. La haute horlogerie n’est donc pas une affaire (trop) commerciale. En Suisse, c’est surtout l’horlogerie neuchâteloise qui va se servir de cette acception tout au long du siècle, pendant que l’Observatoire astronomique cantonal et ses concours chronométriques prennent leur essor. Cependant, n’oublions pas qu’à la même période quelques voix se moquent de cette expression, qui paraît exagérée et grandiloquente; quelques commentateurs présents à l’Exposition universelle de Paris de 1855 inversent l’ordre des mots pour signaler que l’horlogerie haute n’est finalement qu’une simple question de pendules de parquet.

Les bases étaient dorénavant posées pour la fortune que la haute horlogerie aurait connue entre le XXe et le XXIe siècles. Loin d’être une devise marketing forgée à l’ère contemporaine, la haute horlogerie possède une longue histoire, dont a hérité la FHH. Sa trajectoire, de l’Ancien régime aux manufactures actuelles, nous parle de la capacité de l’art horloger d’utiliser les mots comme un allié puissant pour justifier ses ambitions.

Rossella Baldi

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