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Lacloche joailliers, perdus et enfin retrouvés

La dynastie des joailliers Lacloche a débuté modestement son parcours en 1892 pour le terminer, après moultes péripéties, en 1967. En un peu plus de cinquante ans, son nom avait eu le temps de se perdre dans les méandres de l’oubli. En 2019, L’Ecole des Arts Joailliers à Paris a réveillé la belle endormie avec une attrayante exposition mettant en évidence «75 ans de bijoux précieux». Mais c’est grâce à la présentation, actuellement à Hong-Kong jusqu’au 6 avril, que le nom de Lacloche brille à nouveau de tous ses feux à l’international.

 «Au cours de ma carrière», narre une experte lausannoise du bijou ancien, «j’ai eu quelques pièces signées Lacloche entre mes mains, mais pas tant que ça. La première était une petite broche signée ‹Lacloche Londres› qui ne cassait pas trois pattes à un canard. Ne connaissant pas bien la signature, j’ai fait des recherches. Il y a 35 ans, on n’avait pratiquement pas de renseignements sur cette maison, ses fondateurs, ses différentes succursales (et elles furent nombreuses !) et sa carrière. Je suis donc enchantée que, grâce à l’exposition de Hong-Kong, le magnifique livre bilingue de Mesdames Mouillefarine et Ristelhueber sur la dynastie Lacloche se retrouve en tête des ventes».

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Petits colporteurs juifs

L’histoire des Lacloche ne débute ni à Paris, ni à Londres, ni à New-York mais à Maastricht alors ville française. Au début de la Révolution, la France a rapidement «émancipé» ses juifs. Le décret de Bayonne, émis sous Napoléon, les obligeait, néanmoins, à opter pour un «nom définitif». C’est ainsi qu’en 1808, Lebe Elias est devenu Hector Lacloche, premier du nom. Ces petits colporteurs juifs vont rapidement se hisser dans la bonne bourgeoisie grâce aux femmes et aux mariages. En 1854, un Hendricks Lacloche, négociant en textile, père de six enfants vivants dont deux filles, les verra tous partir vers la joaillerie et, grâce à leurs unions, s’imposer à travers l’Europe.

Ça démarre à Paris

En 1892, Léopold et Jules Lacloche quittent Bruxelles pour s’installer à Paris alors que leurs plus jeunes frères, Jacques et Fernand, s’embarquent pour l’Amérique. Trois ans plus tard, les deux lascars rentrent en Europe et s’installent à Madrid où leur magasin expose des bijoux réalisés à Paris, la capitale de la joaillerie. Si la famille royale d’Espagne achète de nombreux joyaux dans la métropole française, les frères Lacloche tirent bien leur épingle du jeu, à Madrid, en leur vendant de beaux objets.

Similitudes avec Van Cleef & Arpels (VC&A) et Cartier

On a longtemps cru que VC&A et Cartier avaient été parmi les premiers joailliers à ouvrir des succursales d’été dans les stations balnéaires, suivant ainsi leur clientèle en villégiature. Aujourd’hui, on appellerait ça des «pop up stores»! Les Lacloche, qui avaient un vrai sens du marketing, faisaient de même. Dès 1896, ils disposaient d’adresses à Biarritz, Madrid, San Sebastian, puis s’installeront encore à Aix-les-Bains, Monaco, Nice, Trouville, ou Ostende en Belgique. Ils sauront, grâce aux mariages, créer des enseignes en s’alliant avec Walewyk (Walewyk-Lacloche), à Madrid, pour les corbeilles de mariages et la bonneterie de luxe; avec Gompers à Paris, joaillier réputé (Lacloche-Gompers) ou encore avec Coven à Buenos Aires et Madrid.

Des détaillants de luxe

Le monde de la joaillerie aux XIXe et jusqu’au milieu du XXe siècle était un peu différent de ce qu’il est devenu. Pas de fabrication de masse et, surtout, pas d’atelier de création dans l’arrière-boutique. Les artisans travaillaient en «chambre» ou participaient à quelques grands ateliers. Les joailliers avec pignon sur rue signaient des pièces qu’ils n’avaient ni dessinées ni réalisées. Durant les premières années de sa carrière, Lalique se promenait avec son carton à dessin, de bijouteries en joailleries pour vendre ses créations! C’est Louis Cartier qui emploiera des dessinateurs-maison, qu’il enverra à travers le monde pour trouver l’inspiration. Plus que la création, c’est le génie des affaires qui instaurera les grandes maisons.

On l’ignore souvent mais c’est Lacloche qui a racheté le stock de la très florissante boutique Fabergé de Londres. En 1917, tous les fonds russes à l’étranger doivent être rapatriés. C’est la mort dans l’âme que Fabergé se sépare de son stock. Il n’est donc pas rarissime de trouver sur un bijou ancien les deux signatures Fabergé et Lacloche.

L’emplacement et les expositions nationales et universelles

Les Lacloche, sous leurs diverses désignations, recherchent des emplacements exceptionnels. Lorsqu’ils arrivent rue de la Paix, ils s’installent au 13 alors que Cartier est au 15. A Londres, ils s’implanteront à New-Bond Street. Finalement, ils atteindront le graal en ayant un emplacement Place Vendôme. Ils font de la publicité et de la publicité intelligente. Ils sont en avance sur leur temps, ne montrent pas que le bijou mais, parfois, juste un écrin entr’ouvert.  Comme toutes les grandes maisons, et ils en sont devenu une, ils «créent» des bijoux magnifiques, colorés, décorés de pierres fascinantes pour les expositions universelles et particulièrement celle de 1925. Certaines de leurs pièces gagnent des prix et, il faut bien l’avouer, sont époustouflantes.

Un cousinage lointain avec VC&A

Les Lacloche, suivent tous les styles à la mode avec un bémol pour l’Art Nouveau. Il semblerait qu’ils aient un cousinage lointain avec VC&A et ça se remarque dans leurs créations des années 25 à 40 qui sont très inspirées de la grande maison. Comme eux, ils aiment la couleur, les pierres, les tailles spéciales, les petits personnages, parfois humoristiques, ou les animaux. Avec le temps, cela aurait été intéressant d’observer de quelle façon les deux signatures auraient persévéré parallèlement ou de façon divergente. Malheureusement, en 1931, la maison et ses succursales font faillite et les stocks sont vendus aux enchères. Pourtant les affaires marchaient très bien ! Les Fernand, père et fils, aimaient trop le jeu et ont poussé la famille à la ruine. C’est Jacques junior, le fils de Jacques, décédé trop tôt dans un accident de train, qui relèvera le nom avec des créations étourdissantes, jusqu’en 1967 où il fermera la place Vendôme pour créer une galerie de meubles contemporains, 24 rue de Grenelle. Sa réussite dans le mobilier contemporain a été exceptionnelle et, à sa mort, en 1999, il aura pu se targuer d’avoir eu deux carrières incroyables dans des métiers totalement différents.

Lacloche, une signature à redécouvrir absolument!

Catherine De Vincenti

Livre: «Lacloche joailliers» par Laurence Mouillefarine et Véronique Ristelhueber. Edition bilingue français-anglais chez Norma / L’Ecole des Arts Joailliers, 319 pages. Prix suisse env. 102 francs suisses.
Très belle et nombreuse iconographie, poinçons d’ateliers, liste des ateliers ayant travaillé avec Lacloche Frères, dessins et fac-similé de pages de livres de stock et d’archives.

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