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Cartier et les arts de l’Islam

Jusqu’au 20 février 2022 Cartier se met à l’heure «orientale» au Musée des Arts Décoratifs de Paris. Exposition exceptionnelle, comme chaque fois que la grande Maison de joaillerie réalise, à travers le monde, une présentation à thème. Magnifique mise en perspective de différents styles de pays lointains qui permettront à la signature française de développer une identité forte tout au long de la première moitié du XXe siècle.

L’année 2021 a véritablement été une mine d’expositions rares et magnifiques dans le monde de la joaillerie et des pierres remarquables. A cheval avec le début de 2022, celle de «Cartier et les arts de l’Islam – Aux sources de la modernité» époustoufle avec ses plus de cinq cents pièces: bijoux et objets, chefs d’œuvre de l’Art islamique, dessins, livres, photographies et documents d’archives retraçant l’intérêt de la Maison pour les motifs orientaux. C’est assez rare pour que cela soit souligné, Cartier travaille ici en coproduction avec le Musée des Arts Décoratifs de Paris, le Dallas Museum of Art et avec la collaboration du Musée du Louvre et de son «département des Arts de l’Islam», inauguré en 2012.

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Un rêve d’Orient

Lorsque l’on parle d’Islam dans notre époque troublée, on a presque immédiatement la vision mentale d’un barbu enturbanné avec une dague entre les dents et une Kalachnikov en bandoulière. C’est faire peu de cas de plusieurs siècles de civilisation lumineuse en Inde, Egypte, Maroc, Iran, Golfe persique, Empire ottoman et jusqu’à l’Andalousie espagnole. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, l’Art provenant de ces régions lointaines et difficilement atteignables, n’était pas qualifié par la religion majoritaire de ces contrées. Le terme un peu fourre-tout « d’orientalisme » était utilisé pour bien marquer la distance et le peu de connaissance que le public avait de ces Arts mal définis. Progressivement, un savoir se développe sur ces identités culturelles variées grâce aux voyages, aux collectionneurs et à certains grands joailliers occidentaux.

Louis et Jacques Cartier

Troisième génération de joailliers parisiens, les Cartier – Louis, Jacques et Pierre – développent l’entreprise grâce à un réel talent pour la création et les affaires. Si Louis est plutôt casanier et n’aime pas trop quitter la France, le grand voyageur du triumvirat c’est Jacques. Il se déplace, en 1911-1912, en Inde et au Golfe persique, découvre les trésors des Maharajahs, les rubis et émeraudes taillés en «tutti frutti» et les perles fines de l’île de Bahreïn. Il noue ainsi des contacts qui seront utiles à la firme lorsque, dans les Années 30, les Maharajahs débarqueront à Paris avec des malles remplies de bijoux qui seront modernisés par les joailliers de la rue de la Paix et de la Place Vendôme. D’autre part, en 1912, Paris est encore, pour quelques années, la plaque tournante du marché des perles qui sont «fines» ou «orientales» et pas encore de «culture». Grâce aux trouvailles orientalistes de son frère, Louis débute une formidable collection d’objets des Arts de l’Islam. Il apparait d’ailleurs comme prêteur, en 1912, d’une exposition organisée par le Musées des Arts Décoratifs et consacrée aux «miniatures persanes». La collection n’existe malheureusement plus mais des inventaires et des photographies permettent d’en conserver une bonne idée.

La technique de Jacques

Durant ces nombreux voyages de par le monde, Jacques procède toujours de la même façon. Il achète in situ des bijoux anciens ou moins anciens, en revend presque immédiatement la plupart avec bénéfice et ramène, en Europe, les pièces les plus intéressantes. Déjà sur place, il démonte et remonte les bijoux, n’en conserve parfois qu’une partie. Il achète des pierres étonnantes ou bizarrement taillées, comme les «tutti frutti» représentant des feuilles ou des fruits en rubis et émeraudes. A Paris, Louis qui a le style, la manière et les idées, les réorganise et rajoute une couleur supplémentaire, le bleu saphir, que l’on ne trouve pas dans les bijoux indiens d’origine.

Le style Guirlande plutôt que l’art Nouveau

La maison Cartier n’a pas cédé aux sirènes de l’Art Nouveau mais a développé un style qui lui est plus personnel, le style Guirlande proche de ce que l’on nomme, aujourd’hui, Belle Epoque. Dès les années 1910, les matières et les couleurs du monde iranien inspirent la création Cartier par le choix d’harmonies inusitées.  L’art de l’Islam est passé par là! Les turquoises iraniennes, les plus belles et les plus fameuses, sont associées au bleu profond et pailleté du Lapis Lazuli d’Afghanistan reproduisant les revêtements glaçurés des céramiques d’Asie Centrale. Jeanne Toussaint, à partir de 1933, reprend la direction artistique de Cartier. C’est une grande collectionneuse de bijoux indiens qui l’inspirent pour ses créations. Elle ose des teintes qui, aujourd’hui encore, font crisser les dents de certains aficionados de la Maison. Souvenez-vous du fameux collier «Draperie» de 1947, commande du duc de Windsor pour son épouse, tout de turquoises, d’améthystes facettées et d’un grand cabochon goutte représentant presque un cœur, augmenté de quelques rares petits diamants, le tout serti sur or jaune.

La géométrie orientale et l’Art Déco

Les découvertes «orientales» de Jacques durant ses voyages vont être digérées et transformées pour la clientèle parisienne. Les décors indiens ou iraniens se retrouveront sur des broches «plaques», des épingles géométriques, des bracelets, des colliers, qui signeront le mouvement Art Déco. De magnifiques étuis à cigarettes aux décors persans émaillés, des «nécessaires», sont aujourd’hui extrêmement recherchés en ventes aux enchères. Certains ornements de tête, très 1925, décorés d’aigrette restent emblématiques du style de cette époque.

Bravez les déplacements en train ou en avion pour visiter cette exposition sur les Arts de l’Islam qui fera date.

Catherine De Vincenti

Petit répertoire des décors «orientalistes»
Merlon à degrés: décor architectural, partie pleine d’un parapet située entre deux créneaux
Palmette: motif ornemental et décoratif en forme de feuille de palmier
Fleuron: ornement en forme de fleur
Écoinçon: motif placé dans les angles d’un cadre
Mandorle: figure en forme d’ovale ou d’amande dans laquelle s’inscrivent des personnages sacrés
Rinceaux: motif ornemental constitué d’une tige se développant en volutes et en contre-volutes, ornée le plus souvent de feuillages, de fleurs ou de fruits. Cette arabesque sert d’ornement dans les arts décoratifs
Sequins: perles en forme de disque utilisées à des fins décoratives.

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