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La garantie, un outil de marketing relationnel

La durée de garantie des montres n’a cessé d’augmenter ces dernières années, devenant un réel argument de vente. Mais depuis quelques mois, ces assurances qualité sont devenues des outils marketing, incitant les clients à s’enregistrer pour gagner quelques années de plus. Pour les marques, c’est une mine d’informations.

Pendant longtemps, ce ne fut qu’une seule année. Puis en 2013, rejoignant les pays européens, le législateur suisse est passé à deux. Depuis, c’est à une véritable surenchère à laquelle assiste, perplexe, la clientèle horlogère: pas une année ne passe sans qu’une marque annonce le relèvement de la durée de ses garanties d’usine. Rolex offre ainsi cinq ans sur toutes ses montres depuis 2015. Principal rival, Omega a rapidement suivi, d’abord pour les pièces équipées de son mouvement Co-Axial, puis en 2018, sur tous ses modèles. Dernière initiative en date: Jaeger-LeCoultre laisse la concurrence sur place en proposant pas moins de huit ans! Un cadeau qui en réalité n’en est pas un. Derrière cette évolution se cache en effet celle de l’industrie horlogère dans son ensemble, au niveau technologique d’abord, puis dans un domaine où elle excelle aujourd’hui: le marketing… – …relationnel en l’occurrence.

Un gage de qualité

Les prix des montres haut-de-gamme suisses n’ont cessé d’augmenter depuis le tournant du siècle. Si les études scientifiques manquent, deux enquêtes, respectivement du site horlogerie-suisse.ch et d’Europa Star, avaient révélé des hausses moyennes de 60 pour cent entre 2000 et 2010, puis encore de quelque treize pour cent entre 2010 et 2015. Un mécanisme qui s’explique un peu par la fluctuation du coût des matières premières, surtout par la croissance des marges et des dépenses en marketing. Le client, lui, n’en avait pas plus pour plus d’argent.

L’apparition et la fiabilisation des nouveaux matériaux en horlogerie va cependant changer la donne. Le silicium, la céramique ou encore le titane vont progressivement et indéniablement faire évoluer positivement la qualité des montres, qui résistent dorénavant mieux aux rayures, à l’usure ou aux chocs. «Les mouvements ont été optimisés et de nouvelles approches ont permis des constructions innovantes», confirme François Girardet, consultant en horlogerie et spécialiste du service après-vente. Et les garanties commencent bientôt à en tenir compte. En 2013, le Code des obligations (CO) helvétique avait déjà fait passer ces dernières d’une à deux années pour toute «chose vendue», se mettant ainsi au diapason de l’Europe. Un changement qui va donner des idées à plus d’un horloger. A commencer par Rolex, qui va offrir dès 2015 une garantie de cinq ans sur toutes ses modèles.

Des garanties à 5 ans

A l’époque, la démarche est saluée comme «exceptionnelle» par la presse. Dans Bilan du 1er juillet, le journaliste spécialisé Michel Jeannot écrivait alors: «Le fait que la marque leader de l’horlogerie suisse étende à cinq ans la garantie sur la totalité de ses modèles démontre une confiance absolue en la fiabilité de ses produits. Car à ce niveau de production (environ 700’000 montres vendues par an), un problème de fiabilité après trois ou quatre ans, avec afflux de retours en SAV, aurait des répercussions désastreuses sur les finances d’une marque. (…) Rolex se place de facto en leader sur un sujet qui, assez naturellement, touche directement le consommateur (et son porte-monnaie).»

Plusieurs autres marques vont lui emboiter le pas. Comme par exemple Omega, sa plus proche concurrente, qui commencera par offrir quatre ans sur les pièces équipées de son mouvement maison Co-Axial, avant de passer à cinq en 2018 pour l’ensemble du catalogue. Dans son communiqué du 2 novembre, la manufacture insiste bien sur l’aspect qualitatif de ses produits: «Une décision qui fait suite aux progrès considérables enregistrés par l’entreprise au cours des dernières années, notamment avec l’introduction révolutionnaire de la certification Master Chronometer, qui a permis de définir pour la branche une nouvelle référence en termes de précision, de performance et de résistance magnétique.»

Un dû sous conditions

Mais ce qui apparaissait jusqu’ici comme un dû, conséquence logique des avancées technologiques, va progressivement se transformer en une sorte de récompense. En effet, sur toutes ses montres achetées après le 1er janvier 2017, Audemars Piguet ajoute désormais trois ans de garantie supplémentaires aux deux années légalement offertes, à condition de s’inscrire sur son site warranty.audemarspiguet.com. Une manière, bien évidemment, de récolter des informations sur ses clients – domaine où l’horlogerie est très en retard par rapport à d’autres secteurs, comme l’automobile ou la mode. C’est ce processus qui a notamment permis au CEO François-Henry Bennahmias d’affirmer le 18 septembre 2018 à l’Agefi: «La moyenne d’âge de notre clientèle a sensiblement rajeuni. Nous avons maintenant de nombreux clients entre 20 et 30 ans, voire même des adolescents de moins de 18 ans.»

D’argument de vente, la garantie se transforme ainsi gentiment en outil de marketing relationnel. Jaeger-LeCoultre vient justement de lancer une plateforme digitale réservée aux clients, qui donne accès à des services personnalisés, en boutique ou en ligne. Baptisé «Care Program», cette nouvelle offre fonctionne comme une sorte de club très fermé où, après inscription, le propriétaire de la montre voit sa garantie augmenter à huit ans – un record dans la branche. «Les risques sont calculés, souligne François Girardet. Cette marque a certainement dû étudier ses statistiques de retour en SAV pour établir cette limite. Mais d’autres, plus petites et moins bien organisées, ne font pas ce genre de calcul.»

«Les fabricants essaient de longue date d’établir un contact avec leurs clients finaux, poursuit le consultant. Sans y parvenir, car le détaillant se tenait au milieu.» Une configuration qui a cependant évolué, avec le concept de «direct to client» mis en place par un certain nombre de marques (lire Gold’Or N°6/2019). Dans ce contexte, la garantie apparaît comme une arme redoutable, capable de nouer des liens avec une clientèle omniconnectée, tout en récoltant des données à bon compte. Un vrai petit miracle marketing.

Photo: Jaeger-LeCoultre vient de lancer son «Care Program». A la clé: une garantie de huit ans pour le client; la récolte de précieuses informations pour la Maison.

Fabrice Eschmann