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Toc en stock, l’illusion des bijoux de scène

Les Grands Boulevards parisiens sont, depuis le XIXe siècle, le quartier des théâtres, des restaurants, des cafés et des passages couverts. Le public, aujourd’hui, a conservé l’envie de s’y promener, attiré par les cinémas et les enseignes plus ou moins luxueuses. Cet automne, y sera dévoilé un nouvel écrin pour les expositions organisées par l’Ecole des Arts Joailliers: l’Hôtel de Mercy-Argenteau. Du 6 octobre au 4 février, on y découvrira une présentation inédite des «Bijoux de scène de la Comédie Française».

Dans cet hôtel particulier datant de 1778, dont la façade ne paie pas de mine au premier regard, le compositeur Adrien Boieldieu (1775-1834) a créé son plus fameux succès «La Dame Blanche» et l’italien Gioachino Rossini (1792-1868), a écrit, pour le sacre de Charles X, l’opéra «Le Voyage à Reims». Mais, surtout, c’est dans ce monument historique que l’ambassadeur du Saint-Empire, Florimond-Claude de Mercy-Argenteau, distillait les conseils avisés de sa souveraine, Marie-Thérèse d’Autriche, à une jeune dauphine écervelée, Marie-Antoinette. La prestigieuse bâtisse a subi de nombreuses transformations architecturales après la Révolution mais subsistent encore de splendides boiseries dorées et certaines pièces d’apparat. Le tout, entièrement restauré par l’Ecole des Arts Joailliers qui s’y installe définitivement avec ses expositions, une bibliothèque et une librairie entièrement consacrées aux bijoux et aux pierres précieuses.

Jewellery_Comédie Française_005 Couronne portée par Sarah Bernhardt dans Ruy Bas Jewellery_Comédie Française_007 Bracelet de Louis Conte à motif de serpent Talma Jewellery_Comédie Française_003 Couronne de Mlle Raucourt Jewellery_Comédie Française_002 Glaive d'apparat de Talma Jewellery_Comédie Française_006 Peigne en corail de Rachel
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Ce bracelet «serpent» a été réalisé pour le plus grand acteur post-révolutionnaire, Talma, par un certain Louis Conte. Ce bijou fantaisie date de la fin du XVIIe – début du XVIIIe siècle, ne vous fait-il pas penser à une grande signature italienne dont la marque commence par un B et se termine par un I?

 

Les bijoux de scène de la comédie Française

Quartier des théâtres oblige, un sujet inédit sur les bijoux de scène conservés par la Comédie Française s’imposait. Ce trésor sommeillait dans les réserves de l’illustre théâtre. Certains de ces bijoux en «toc» avaient fait plus qu’illusion, sur des acteurs et actrices restés dans les souvenirs du public, génération après génération. Cette simple couronne de lauriers en métal doré, par exemple, coiffa le grand Talma et lui fut offerte par Napoléon pour le féliciter de sa prestation de Néron dans Britannicus. «Les parures que portaient les acteurs et actrices provenaient majoritairement de leur cassette personnelle», précise la commissaire de l’exposition Agathe Sanjuan. «À exhiber leurs parures sur les planches, ils faisaient étalage de leur réussite sociale, au risque d’être en contradiction avec l’action! La recherche de la véracité historique ne s’impose qu’à la fin du XVIIIe siècle.»

Un chantier de recherche

A la découverte de ce trésor de fantaisie, de nombreuses questions ont vu le jour. Qui dessinait et fabriquait ces magnifiques accessoires? Quels savoir-faire étaient mis en œuvre? Des joailliers reconnus y avaient-ils participé? Cet ensemble méritait certainement une étude historique et une restauration minutieuse car, au cours de ces deux derniers siècles, les objets avaient été maintes fois portés et avaient subi les ans des outrages heureusement réparables. Quel type d’artisans pouvaient, aujourd’hui, les nettoyer, les réparer ? Où trouver les pierres d’imitation, les verres facettés de la bonne couleur, les fausses perles au ton parfait. La quête a pris des années, financée par l’Ecole.

La grande illusion

Cette première exposition temporaire à Mercy-Argenteau réunit cent-vingt accessoires, œuvres d’art (gouaches, miniatures, estampes) et documents (manuscrits, factures de fournisseurs) majoritairement issus de la collection de la Comédie Française, mais aussi de costumes empruntés au Centre National du Costume et de la Scène à Moulins. L’exhibition est conçue comme une pièce de théâtre. Chaque acte correspond à une époque dans laquelle on redécouvre ses interprètes. La grande tragédienne Rachel est l’héroïne de l’époque romantique. Elle raffolait des bijoux, vrais ou faux, et dans Phèdre, elle change de parure à chaque acte! Dans Bajazet de Jean Racine, plus dans la veine des turqueries à la française, elle est couverte de pierreries du turban à la ceinture. Son poignard serti de strass et de pierres de couleur évoque la magnificence de sa tenue.

La haute-joaillerie du toc

La réalisation de ces pièces exceptionnelles qui doivent être vues du parterre au poulailler et briller de tous leurs feux, fait appel aux mêmes savoir-faire que la haute joaillerie. Ainsi, on pourra admirer dans une vitrine, ce diadème aux étoiles «en trembler» (montées sur ressort) ou une parure de verre bleu et cristal transformable comme un bijou précieux. Les robes tiennent également de la haute couture. En 1888, Julia Bartet portait dans «Pepa», une comédie de Henri Meilhac créée à la Comédie-Française le 31 octobre, une robe restée dans les anales et visible dans l’exposition. Ainsi que la tunique d’un des plus grands acteurs de son époque, Mounet-Sully, portée avec son grandiose pectoral (inspiré de celui du grand prêtre de Jérusalem dans la bible) décoré de cabochons de verre montés sur paillons pour mieux scintiller. Le dernier acte mettra à l’honneur les figures de la Belle Epoque que sont Edouard de Max ou Sarah Bernhardt.

Théâtre, bijoux, mode et littérature, tout ce qui fait rêver se trouvera au cœur de cette exposition mise en scène par l’Ecole des Arts Joailliers et la commissaire Agathe Sanjuan. Une bibliothèque de quelque 6000 documents: imprimés, revues, catalogues de ventes aux enchères, vous accueillera également à Mercy-Argenteau ainsi que l’Escarboucle, la première librairie parisienne entièrement dédiée à la bijouterie, la joaillerie, les créateurs, le savoir-faire, la gemmologie, les arts appliqués et l’histoire du goût. Près de 3000 titres en français et en plusieurs langues étrangères. Toutes ces merveilles valent bien un déplacement à Paris!

Catherine De Vincenti

lecolevancleefarpels.com

Adresse: Hôtel de Mercy-Argenteau, 16 bis Boulevard Montmartre, 75009 Paris
Livre: «Bijoux de scène de la Comédie Française», Guillaume Glorieux et Agathe Sanjuan, Editions Gallimard – l’Ecole des Arts Joailliers, 300 pages, 175 illustrations.

Photo: Ce diadème «aux camées» de la légendaire Rachel figurant sur l’affiche de l’exposition est un bijou en «toc» composé de camées coquille sur alliage cuivreux doré, doublure en tissu lamé.

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