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Un nouveau souffle pour les pendules neuchâteloises

Émailleuse d’art pour les plus grandes marques horlogères, Vanessa Lecci s’est mise à restaurer ces illustres pendules murales. Dans un style pop’art qui peut choquer les puristes, mais qui rend ces objets désuets terriblement tendance.

«Je ne veux pas faire disparaître ce qui a été, je veux donner un second souffle à cet objet mythique en essayant de le faire voyager dans le temps le mieux possible.» Dans le grand hall de la Haute école d’art et de design (HEAD) de Genève, installée sur un coin de table, Vanessa Lecci enchaîne les rendez-vous et les téléphones. Émailleuse depuis 20 ans pour les plus grandes marques horlogères, elle est venue présenter sa dernière activité à Time to Watches, le salon des indépendants qui s’est tenu en marge de Watches and Wonders Geneva: la restauration de pendules neuchâteloises dans un style pop’art. Démarrée à fin 2021, MyWayWatch, comme elle a baptisé cette nouvelle occupation, connaît déjà un grand succès.

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Ancienne volleyeuse professionnelle, émailleuse d’art depuis 20 ans, Vanessa Lecci s’est donnée pour mission de redonner un second souffle aux pendules neuchâteloises.

Une touche-à-tout

Née en Italie, Vanessa Lecci a connu une première vie en tant que… volleyeuse professionnelle. C’est d’ailleurs son sport qui, en 1996, lui fait poser ses valises en Suisse, où elle jouera d’abord à Yverdon, puis à Neuchâtel. Mais à 30 ans, comme tout sportif d’élite, elle envisage une reconversion.

Déjà titulaire d’une Maturité Artistique (section métaux et bijouterie) et d’un Diplôme de l’Académie des Beaux-Arts (section scénographie et sculpture) – tous deux obtenus en Italie – elle découvre alors l’horlogerie suisse. Touche-à-tout, elle se forme dès 1998 à la dorure, au design, au sertissage et enfin à l’émaillage. «C’est un peu comme dans le sport, où chaque entraînement fait travailler des muscles particuliers», image-t-elle. «Dans chaque artisanat, il y a des gestes propres.»

Engagée comme sertisseuse chez Cartier Horlogerie à La Chaux-de-Fonds, elle se voit confier, quelques mois plus tard, la tâche immense de mettre en place et d’ouvrir l’atelier d’émail de la maison, entre 2003 et 2006. «C’était un vrai défi, pour moi la sportive!» Un défi qui lui ouvrira les portes des plus grandes marques, pour qui elle décore, aujourd’hui encore et sur mandat, cadrans et boitiers. Sa spécialité: l’émail cloisonné.

Plus d’intérêt

Parallèlement, sa passion pour l’artisanat et sa polyvalence dans le domaine, l’ont conduite à se lancer, dès 1998, dans la restauration d’objets d’art, en pierre, en métal ou en bois, essentiellement. Avec là aussi, un talent particulier pour la feuille d’or. Elle est notamment intervenue à la basilique Notre-Dame de Neuchâtel.

C’est cet attrait pour le patrimoine qui éveillera son intérêt pour les pendules neuchâteloises. Inspirée à ses début du style Louis XV – une influence qui va connaître plusieurs reformulations au fil du temps et des modes – cette pendule murale, qui porte le nom de sa patrie d’origine, a connu son heure de gloire durant le XVIIe siècle. Ses fabricants les plus célèbres ont pour noms Jaquet Droz, Courvoisier, Robert, Billon ou encore Ducommun. Elle a continué cependant à être fabriquée jusqu’à nos jours, mais avec un succès sans cesse déclinant. Moins de cent pièces par année sont aujourd’hui encore réalisées, principalement par Zenith au Locle et Le Castel à Saint-Aubin. Les clients, eux, sont très majoritairement étrangers.

Car dans le canton de Neuchâtel comme partout en Suisse, les pendules neuchâteloises n’intéressent plus personne. «Dans une brocante, je suis tombée un jour sur l’une d’elles. Le marchand en voulait 100 francs. Je me suis dit que ce n’était pas possible!», raconte Vanessa Lecci. Elle décide alors d’en récupérer, une à une, chez les particuliers. «Beaucoup de familles ont encore ces objets au grenier ou pire, à la cave. Les gens s’en débarrassent parce qu’ils ne savent pas quoi en faire.»

Remercier Neuchâtel

Elle en acquiert une, puis deux, puis dix. Elle conserve et restaure elle-même les dorures, ainsi que les cadrans blancs en émail Grand-Feu. Le mécanisme est quant à lui entièrement révisé par un horloger spécialisé. Là s’arrête la tradition. Car le cabinet devient dès lors un terrain de jeu pour l’artiste. «C’est ma liberté!», s’exclame-t-elle. Dans un style pop’art très coloré, elle repeint le bois à la laque, transformant littéralement ces vieilleries en objets très tendances. «Je refais entièrement des pendules pour mon compte, mais les propriétaires peuvent également me les apporter et me donner leurs consignes», explique Vanessa Lecci. «J’invite aussi des artistes à intervenir, car la forme de l’objet en lui-même est intéressante.»

Seules quelques pièces ont pour l’instant bénéficié de ce toilettage en profondeur. Mais déjà, l’intérêt du public repart à la hausse: «J’ai pas mal de demandes», reconnaît l’émailleuse. «J’essaie d’inventer une nouvelle vie à ces pendules. C’est ma façon de remercier le pays de Neuchâtel qui m’a accueillie.»

Fabrice Eschmann